Parce que son commerce a été fermé durant la période de confinement, la locataire d’un local commercial estime que les loyers échus sur cette période ne sont pas dus. A tort ou à raison ?
Coronavirus (COVID-19) : attention aux arguments invoqués !
Un grand magasin, exploité par une société, est fermé pendant la période de confinement, puis partiellement ouvert au public à l’expiration de celle-ci.
Une situation exceptionnelle qui, selon la société, justifie :
- qu’elle ne soit pas tenue de régler les loyers échus pendant la période de confinement ;
- qu’elle ne soit tenue qu’au paiement d’un loyer minoré à proportion de sa perte de chiffre d’affaires pendant toute la durée des mesures restrictives d’accueil du public qui ont suivi ce confinement.
Mais cette position n’est pas partagée par son bailleur, qui décide de saisir le juge en urgence afin de réclamer le paiement des loyers dus…
A l’appui de sa demande, il indique avoir fait preuve de bonne foi en proposant, en raison du contexte sanitaire, le report temporaire (et sans intérêts) du paiement des loyers dus pendant la période de confinement… ce qu’a pourtant refusé sa locataire.
« Et pour cause », rétorque celle-ci qui reste sur sa position, et ce pour diverses raisons.
D’abord, rappelle-t-elle, le bailleur est tenu de garantir une jouissance paisible du local loué pendant toute la durée du bail… ce qui n’a pas été le cas ici puisque celui-ci a été fermé dans le cadre de diverses mesures administratives.
Dès lors, elle a le droit, en réaction à ce manquement, de s’abstenir pour sa part de payer le loyer échu pendant cette période (techniquement, on parle « d’exception d’inexécution »).
Ensuite, poursuit-elle, il est en principe prévu que si la chose louée est partiellement détruite en cours de bail, le locataire peut demander une diminution du prix, voire la résiliation du bail.
Et selon elle, cette disposition a vocation à s’appliquer ici, puisque l’impossibilité d’exploiter les lieux loués en raison de la fermeture administrative du commerce est assimilable à une perte du local.
Enfin, conclut-t-elle, le bailleur est tenu d’exécuter le contrat de bonne foi, ce qui l’oblige, en cas de changement imprévisible, à le renégocier … ce qu’il a pourtant refusé ici !
Mais ces arguments multiples ne convainquent pas le juge, qui lui répond à son tour en plusieurs étapes.
Certes, reconnaît-il, le bailleur a bel et bien l’obligation de délivrer les lieux loués et d’en faire jouir paisiblement le locataire pendant toute la durée du bail.
Par conséquent, il doit être tenu pour responsable de l’impossibilité pour son locataire d’exploiter son local, et ce même si la fermeture administrative de celui-ci ne résulte pas de sa propre décision.
Cette situation permet donc (en théorie) au locataire de se prévaloir de ce manquement pour suspendre, à son tour, le paiement des loyers pour la période concernée.
Toutefois, tempère le juge, cette « exception d’inexécution » doit rester proportionnée et provisoire au temps pendant lequel le locataire n’a plus accès à son local.
Or ici, la locataire a purement et simplement refusé de payer son loyer pendant toute la durée du confinement, puis n’a accepté par la suite de ne payer qu’une partie du loyer dû, à proportion de la perte de son chiffre d’affaires… ce qui constitue, selon le juge, une attitude excessive.
Par ailleurs, poursuit-il, les dispositions relatives à la perte de la chose louée ne sont applicables qu’à la condition que le local ait fait l’objet d’une destruction définitive… ce qui n’est pas le cas ici.
Enfin, conclut-il, le bailleur a rempli son obligation d’exécuter le contrat de bonne foi puisque face à l’évolution de la situation sanitaire, il a proposé de reporter le paiement des loyers échus durant le confinement, sans intérêts de retard.
Pour toutes ces raisons, la demande de la locataire doit donc être rejetée…
Il faut noter que cette décision s’inscrit dans le cadre d’un contentieux important en matière de paiement des loyers commerciaux en temps de crise sanitaire.
Les détails apportés ici par le juge sont certes très précis, mais restent circonscrits aux faits de la situation qui lui était soumise.
Dans l’attente d’un positionnement clair et homogène des juges sur la question, il convient donc de manier ces décisions avec la plus grande prudence…
Source : Arrêt du Tribunal judiciaire de Strasbourg du 19 février 2021, n° 20/00552 (NP)
Coronavirus (COVID-19) : (encore une) nouvelle précision concernant le paiement des loyers commerciaux ! © Copyright WebLex – 2021